Quel manager êtes-vous ?
Deux cadres, deux chefs de service dans un organisme médicosocial, appelons-les Karine et Douglas.
Le quotidien des cadres du secteur médico-social
Cela peut être tendu…
Douglas, toujours débordé, passe son temps dans son bureau. La porte est ouverte. Mais les salariés ne vont jamais le voir.
Douglas se plaint de l’absentéisme dans son équipe. S’il passe autant de temps dans son bureau, c’est pour revoir les plannings, chercher des remplaçants et tenter de trouver des solutions à chaque fois.
L’activité des professionnels présents est mise à mal : ce qu’ils prévoient est sans cesse remis en question en raison des absences.
Douglas fait son maximum pour les seconder : il a peur qu’ils ne s’épuisent et se découragent.
Il aimerait bien faire autre chose que passer son temps à gérer des plannings qui ne tiennent jamais ou aller en faire un emplacement au pied levé quand les absents sont trop nombreux.
Pour Douglas, Karine a vraiment de la chance de pouvoir passer régulièrement voir son équipe. Il aimerait bien pouvoir en faire autant…
…ou plus équilibré.
Karine, trouve le temps d’aller voir son équipe sur le terrain.
Dans l’équipe de Karine, il y a certes des absents. Impossible, évidemment, d’échapper aux épisodes épidémiques de l’hiver.
Et puis, régulièrement, à l’approche des vacances, elle s’est rendue compte que les professionnels avaient plus souvent des maux de dos (torticolis, lombalgies… ). Du coup, ils étaient plus souvent absents également.
Elle s’est demandé si ce n’est parce que les professionnels étaient plus fatigués à ce moment-là. Elle a fait l’hypothèse qu’avec la fatigue, ils se fragilisaient, ils se tenaient moins bien, ils étaient moins vigilants sur les postures à adopter.
Elle a décidé qu’elle allait devoir se préoccuper de la situation.
La porte de son bureau est régulièrement fermée. Pas tout le temps. Mais ça arrive. Pourtant, son équipe la voit souvent : elle est régulièrement sur le terrain.
Conséquences sur les ressources humaines
En résumé, voilà deux établissements qui accueillent le même nombre de polyhandicapés.
Et une différence de taille : l’absentéisme.
Et à cause de cette différence, le nombre de contrats à durée déterminée explose dans l’établissement de Douglas. Son établissement et celui de Karine sont pourtant dotés du même effectif d’encadrement…
Des pratiques managériales aux antipodes
Dans le même temps, on constate des pratiques managériales différentes dans l’un et l’autre de ces établissements.
En voici trois exemples :
1. Le traitement de la mobilité
Dans l’un d’eux, Karine favorise la mobilité en incitant régulièrement les professionnels à repenser à leur projet professionnel.
Elle veille à ce qu’ils ne soient pas épuisés. Physiquement, moralement, psychologiquement. En effet, elle sait que même si les usagers sont attachants, les métiers de terrain sont exigeants et l’épuisement guette.
Bien sûr, cela n’arrive jamais du jour au lendemain. Et puis, chaque professionnel a un seuil de résistance qui lui est propre.
Mais Karine a choisi d’anticiper et elle a intégré la notion de « mobilité/départ » dans son management. Tous les membres de son équipe sont d’ailleurs au courant de la loi sur la « période de mobilité volontaire sécurisée[1] »
Douglas, en revanche, a peur pour chaque salarié.
Il comprend que chacun veuille éviter le changement car il comprend leur peur du contexte économique.
Il comprend leur attachement aux usagers. Ils en connaissent certains depuis leur arrivée dans l’établissement.
2. L’accompagnement des équipes
S’agissant maintenant de leur présence auprès des équipes, Karine s’organise pour être régulièrement présente sur le terrain, pour voir comment travaillent les uns ou les autres, ce qui renforce la cohésion de son équipe.
Au début, les professionnels étaient assez inhibés, peu habitués à ces pratiques. Ils ont eu l’impression d’être « fliqués ». Il y a eu un vrai vent de rébellion. Les instances représentatives du personnel ont même été alertées. Un vrai tollé !
Et puis en fait, avec le temps, comme les représentants du personnel n’ont rien trouvé de dysfonctionnant dans ce mode de management. Ils n’ont constaté ni stigmatisation, ni harcèlement mais plutôt des astuces conseil, des mini recadrages sur des horaires ou encore des recompositions de binômes ou de trinômes quand cela lui paraissait nécessaire, ils n’ont pas été plus loin.
Car au final, les professionnels ont plutôt ressenti cela comme du soutien et un retour à plus d’équité que du contrôle bête et méchant.
Dans l’autre établissement, en revanche, Douglas détache les professionnels du terrain quand ils s’absentent un peu trop souvent. Pour leur permettre de reprendre leur souffle, il les affecte à des montages de projet.
En soi, c’est une excellente idée. Mais les projets ne voient pas toujours le jour. Ce qui n’est pas forcément encourageant.
Et puis, cela revient à manager chaque professionnel individuellement et non pas à manager le collectif.
Enfin, c’est mathématique, cela aboutit à ce que les effectifs sur le terrain soient moins nombreux :
- Ceux qui restent voient leurs programmes sans cesse remis en cause car il faut gérer les absences.
- Ce qui les démotive totalement car ils ont l’impression de ne jamais pouvoir faire du travail de qualité (facteur important de risque psychosocial)
- Et ils sont épuisés car hyper sollicités : même si les absents sont en partie remplacés et que les remplaçants sont de bonne volonté, ils ne connaissent pas les usagers et ils ne peuvent donc pas être aussi efficaces que les professionnels permanents. Cette sur sollicitation étant elle-même un facteur de risque.
3. Le glissement de tâches
Parce que fortement occupé par la gestion des plannings, Douglas est très occupé.
Mais il lui arrive aussi régulièrement de prendre en charge des activités dont son équipe devrait s’occuper.
Il est certes garant des projets personnalisés[2] des usagers de son établissement. Mais ce n’est pas à lui de les réécrire quand ils ne sont pas correctement rédigés : fautes d’orthographe, de syntaxe, pas de contenu, pas d’argumentaire…
En fait, il considère que son équipe n’est pas autonome. Qu’il ne peut pas lui faire confiance pour un certain nombre d’activités.
En fait, il semblerait qu’il y ait un glissement de tâches entre les uns et les autres. Douglas était éducateur avant d’être chef de service.
Il se pourrait, comme c’est le cas pour beaucoup de chefs de service devenus cadres par promotion interne, que le terrain lui manque, qu’il ne parvient pas à trouver la bonne position en tant que responsable hiérarchique.
Karine vient du sanitaire. Elle était infirmière. Elle n’a pas la même posture de manager.
Elle n’a pas le temps de ramener des projets chez elle, elle préserve sa vie de famille, elle a des enfants en bas âge.
En revanche, elle a construit une trame de projet avec certains.
Elle demande à chacun de consigner soit dans un cahier (plus simple pour certains) soit sur informatique, des remarques hebdomadaires sur chacun des usagers (pour qu’il existe de la matière au moment de rédiger).
Elle a demandé au service formation qu’une formation en intra soit organisée pour toute son équipe : même s’il n’appartient pas à tous de prendre en charge la rédaction, tous savent ce qu’ils ont à fournir aux éducateurs en charge de l’écriture.
Elle a ensuite organisé des binômes / trinômes pour la mise en œuvre.
On pourrait citer bien d’autres exemples, ceux-là sont déjà une première illustration de différences de pratiques…
Et vous, quel manager êtes-vous ?
Et vous, de quel manager pensez-vous être le plus proche ? Si vous pensez être plus proche de Douglas que de Karine, ne vous inquiétez pas… Contrairement à ce que l’on peut penser, manager n’est pas forcément inné, ça s’apprend.
En fait, quand on pense que c’est inné, c’est souvent parce qu’en réalité, on reproduit ce que l’on a connu soi-même (en ayant eu la chance d’avoir un excellent manager par exemple) ou ce que l’on a vu pratiquer autour de soi.
Or tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir été « à bonne école ».
Il arrive par ailleurs très souvent que ceux qui affichent une belle réussite dans un poste sans encadrement, se voient proposer, à titre de promotion, un poste de manager.
Or, ce qui est considéré comme une récompense peut parfois se transformer en « cadeau » difficile à gérer. Car être expert dans son domaine et devenir manager revient à exercer deux métiers radicalement différents.
Et souvent, les managers ainsi promus ne sont pas formés à ce nouveau métier et n’ont pas eu le temps de prendre du recul pour envisager ce qu’ils aimeraient en faire.
Bien sûr, ils sont heureux de cette promotion qui est une belle marque de reconnaissance. Mais ils découvrent généralement une réalité qu’ils n’avaient pas soupçonnée.
Si l’on rajoute à cela la crainte de se faire prendre en défaut par les instances représentatives du personnel, de se faire accuser de harcèlement par les membres de son équipe ou encore d’être à l’origine de risques psychosociaux de ses collaborateurs, pour ne citer que ces quelques exemples, la difficulté augmente de façon exponentielle. Et la souffrance avec !
Rassurez-vous : manager s’apprend
Les compétences, tant en matière de savoir-faire que de savoir être s’apprennent. En collectif et / ou en individuel : formation professionnelle (présentiel ou distanciel), ateliers d’analyses de pratiques professionnelles (APP), construction, entre pairs, d’un référentiel de compétences avec dictionnaire d’exemples illustratifs, accompagnement individuel… En alternance avec la pratique, bien sûr.
Un dossier Management de Carole Logiez, coach certifiée
Références
[1]La mobilité volontaire sécurisée sur ServicePublic.fr
« La mobilité volontaire sécurisée permet au salarié d’exercer une activité dans une autre entreprise tout en gardant la possibilité, pendant une certaine durée, de revenir dans son entreprise d’origine. La mobilité volontaire sécurisée ne doit pas être confondue avec le congé de mobilité. La mobilité volontaire sécurisée est ouverte sous conditions. Dont voici le texte de référence : Code du travail : articles L1222-12 à L1222-16
[2] Cf. loi 2002-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles